Il fut une époque où la chanson française était réputée pour sa pertinence et son impertinence, pour sa gaité et sa profondeur, la verdeur de son verbe et de
sa mélodie. Quand on écoute cette chanson de Dominique A, Rendez-nous la lumière, on a le sentiment d'avoir changé d'univers, que ces temps son bien derrière nous, que la chanson française est un
genre désormais moribond laissé aux incantations ovines d'une foule de poilus à guitare comme autant de clones de clones de faux-Dylan.
Désolé de "gâcher" la fête de cette grand-messe festiviste, à l'attention des habitants du 11e arrondissement de Paris et des mangeurs de tofu bio. Lecteur ! S'il
te reste encore un peu de sens critique, poursuis avec moi cette exploration de la nouvelle chanson française.
Voici le texte de cette prière à Gaïa :
On voit des autoroutes, des hangars, des marchés
Des grandes enseignes rouges et des parking bondés
On voit des paysages qui ne ressemblent à rien
Qui se ressemblent tous et qui n'ont pas de fin
[Refrain]
Rendez-nous la lumière, rendez-nous la beauté
Le monde était si beau et nous l'avons gâché
Rendez-nous la lumière, rendez-nous la beauté
Si le monde était beau nous l'avons gâché
On voit de pleins rayons, de bêtes congelées
Leurs peurs prête à mâcher par nos dents vermillons
On voit l'écriture blanche des années empilées
Tous les jours c'est dimanche, tous les jours c'est plié
[Refrain]
On goûte au vieux mensonges des cieux embrigadés
Tant de vies sacrifiées pour du cristal qui ronge
On voit des fumées hautes, des nuages possédés
Des pluies oranges et mauves donnant d'affreux baisers
A qui s'adresse le refrain ? Qui doit rendre la beauté ? Qui a cette capacité ? Mystère. Nous avons "gâché" le monde et quelqu'un doit nous en rendre la beauté...
Quelqu'un doit nous rendre la lumière... Ces deux attribus du Paradis terrestre, beauté et lumière, nous indiquent que nous vivons, aujourd'hui, dans un monde d'obscurité et de laideur,
dégringolés d'un Eden dont les clés semblent détenues par l'énigmatique sujet de cette adresse.
Le reste de ce cantique n'est pas plus explicite. Il appartient à la catégorie des chansons catalogues. Des choses assez banales sont désignées successivement par
des circonlocutions dont on devine que l'auteur les aimerait poétiques.
En fait, comme le refrain tombe de façon bancale sur la dernière rime, comme il lui manque une syllabe et que le chanteur, on ne sait pourquoi, n'a pas pensé
compenser ça de façon rythmique, toute cette belle poésie fait un flop.
On peut penser qu'il s'agit d'une vision apocalyptique. De nombreuses expressions font référence à la fin des temps et à une ambiance crépusculaire, violente et
résignée.
Dominique A attribue aussi aux couleurs une valeur morale : le vermillon, le mauve et l'orange sont laids. Leurs contraires respectifs sont le vert, le bleu et le
jaune, c'est à dire le VERT ! Le Paradis terrestre, perdu par la faute des hommes est un paradis VERT où l'on ne mange pas les animaux, où les paysages "ressemblent" à quelque chose s'ils ne
contiennent ni "autoroutes", ni "parkings", ni "enseignes rouges", etc.
On a compris : avec cette chanson, la chanson française, fêtée avec enthousiasme à Boboland, a versé dans la pensée unique écologiste, dans l'acquiescement
universel du rousseauïsme cucul célébré chaque matin par Didier Varot sur France Inter (Encooooore un matin, pfff....), avec ses formules toutes faites et ses métaphores à cinquante centimes
d'euro.
Ce n'est donc pas le moment de se résigner : toute la chanson française aujourd'hui bascule dans cette pensée unique étouffante. Il est temps de réfléchir à autre
chose...